Et sur le pavé, mes pas résonnent. Je marche vite, trop vite, je n’arrive pas à m’arrêter. J’crache du produit vaisselle, de la vieille mousse blanche. J’avale du cyanure, ouais, et j’le recrache par terre, sur les murs, dans le métro. Tu me regardes comme si j’étais folle. Je suis folle. Folle et consciente, tu connais pas ? Ça fait mal.
…Quelques heures plus tôt…
Je grince des dents, j’use mes prémolaires, ma mâchoire bouge toute seule. De gauche à droite, de droite à gauche. Ma salive est devenue aride, j’ai du sable dans la bouche, un sale goût sur les gencives. Sauve-moi. La musique n’est plus qu’un cri aiguë, on s’arrache les ongles sur ce tableau humain. Avec vos putains de bouteilles d’eau à la main pour pas vous dessécher. Le cœur s’accélère, les oreilles saignent. Je les bouche. J’ai mal. Aidez-moi. Quelqu’un ! Je n’arrive plus à respirer. J’vais crever. Tout le monde s’en tape. Tout le monde danse, les bras levés, lunettes de soleil pour dissimuler les yeux écarquillés des mecs psychotropés. Je baigne dans la foule, je n’ai plus d’oxygène, je penche ma tête en arrière, ouvre la bouche en grand en espérant boire une goutte d’air. Rien, rien, rien. Ça monte, ça monte, je le sens, ça va exploser dans mon corps. Je vous en supplie, revenez à vous, revenez à moi.
Et puis il y a toi là-bas, qui me scrutes. Toi aussi t’en peux plus. Toi aussi t’as fait le con. Pourquoi on fait ça ? Pourquoi on se pourrit ? Toi aussi tu comprends rien à la vie ? Toi aussi t’es malheureux sans raison ? On peut pas s’aider. On est tous les deux torturés mon vieux.
J’attrape le bras de Joyce, je le broie avec mes mains devenues géantes, imposantes et puissantes. J’ai la force d’un monstre, je suis un monstre. Faut que j’parte. Elle me regarde les yeux défoncés. Faut que j’parte.
Je pars. Je cours. Je fais des allers-retours, des tours sur moi-même. Je cherche une bouteille d’eau avec, à l’intérieur, de l’eau. Juste de l’eau. Ça va pas, ça va pas putain. J’ai une boule de feu qui explose dans mon cœur. Je parle aussi vite que je pense et j’entends tous ces mots entremêlés qui ne veulent rien dire. Je t’ai laissé là-bas, j’avais pas le choix. C’était toi ou moi.
Il est 4h et Londres est éteinte. Il y a Joyce qui danse sur les bords du London Bridge. Elle est heureuse. Faussement heureuse. Tu viens de bouffer des amphéta, normal que tu sois heureuse ma belle avec tes entactogènes dans les veines. Tu danses et moi je tourne encore sur moi-même. Il y a les feux tricolores qui me donnent envie de vomir et les bruits de la nuit qui me donnent envie de mourir.
Je veux sauter dans la Tamise pour que tout ça cesse mais non. Arrête, t’es pas bête à ce point, tu vas pas te jeter dans l’eau, tu cherches quoi ?
A 6h30, le cœur s’apaise, se calme, il bat moins vite, moins fort. Je suis épuisée. Je tombe par terre. La pression se relâche, mes membres tendus deviennent mous, j’ai des jambes en silicone, des doigts en coton, des pieds douloureux. Je dors. Par terre. Une boule de feu sortie de nulle part s’installe dans le ciel. C’est le lever du soleil. Il y a un pays dans ce monde, dans ce pays, dans cette ville, dans ce lieu unique. Des statuts en bois se dressent, des chevaux à bascule, des chats, des tables, des chaises. Merde, réveille-toi. Je suis réveillée. Et il y a Joyce qui danse encore sur les toits des boutiques vides.
Je souris en la regardant.
Expérience vécue ou imagination bouillonnante, ce récit nous emporte dans une sphère d’ombre que chacun porte en soi, nous prend tout simplement aux tripes…….
Dalou, je dirais que ce récit est plus réaliste que fictif contrairement à beaucoup d’autres sur le site 🙂 et pour être tout à fait honnête, je n’ai été capable de retranscrire cette soirée que 8 mois après qu’elle ne se soit passée! « Sphère d’ombre », je pense que tu as parfaitement saisi le sens de ce texte!