J’ai perdu ce qui compte le plus à mes yeux depuis 13 ans. Sans aucun préavis.
Patrick Le Ménahèze
3 ans et 1 jour.
10 JANVIER 2017 · AMIS
Je pense me réveiller à ses côtés. Non, elle n’est pas là, elle n’est pas rentrée de la nuit. Elle est restée dormir à son hotel-restaurant, comme elle me l’a dit la veille.
Ce n’est pas qu’un cauchemar.
Je tente de me rassurer en me disant qu’elle doit être en train de changer d’avis…
C’est ce que je me dis chaque jour depuis.
Elle revient chercher quelques affaires… et peut-être encore espère-t-elle que je me sois ressaisi.
C’est ce que j’essaie de faire, mais ça ne prend pas. J’arrive tout juste à me ressaisir suffisamment pour tenter de discuter avec elle.
Mais elle, a pris tellement d’assurance depuis hier ! Elle ne semble quasiment plus avoir aucune hésitation.
Je suis anéanti, je panique. Ça lui fait peur.
Au lieu de la faire regretter, mon attitude, ma réaction, la confortent encore et encore dans sa décision… C’est ce qu’elle se dit chaque jour depuis. J’étais déjà perdu avec elle… Mais alors sans elle ! Que vais-je devenir ?! Je ne m’imagine même pas survivre !
D’ailleurs, je le lui dis. La veille je pensais pouvoir survivre sans elle, mais, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Mais elle, ce qu’elle veut, avant tout, c’est un homme solide, un homme fort, un homme, un vrai…
Ce jour-là, je me sens comme un gamin qui vient de perdre ses parents… Je n’ai aucune idée de ce qu’elle veut, de ce qui l’a poussée à partir… Que me reproche-t-elle ? Elle commence à faire la liste… Tout ce qu’elle n’a pas osé me dire jusque là.
C’est le coup de grâce. C’est impossible, je ne m’en remettrai pas ! Où est la femme que j’aime et qui m’aime ? Qu’est-elle devenue ? Elle va bien finir par ouvrir les yeux !
“Au contraire, je les avais fermés. Maintenant j’ai les yeux grand ouvert”.
Elle s’est rendu compte qu’elle avait l’esprit beaucoup plus tranquille lorsqu’elle était loin de moi. Aucun compte à rendre, pas de stress, pas de reproches… Et puis pas d’enfants à s’occuper… 2 enfants plus un troisième qui ne veut pas grandir…
Elle me l’a dit, avec moi, elle a l’impression d’avoir 3 enfants à s’occuper. Il faut dire que, depuis qu’on est ensemble je ne m’occupe quasiment que de nos projets qui, pour elle, n’étaient souvent que les miens. Je passe mes journées à travailler, dans le jardin ou sur l’ordi. Je ne suis pas contre le ménage, les sorties (etc…), bien au contraire, mais je n’arrive pas à trouver le temps… Je n’arrive pas à prendre le temps… J’ai tellement peur de ne pas y arriver à temps…
Elle pensait que notre vie aurait changé avec ma nouvelle passion (le potager) et l’arrivée de nos enfants. C’était le cas, sauf que cette passion, bien que des plus saines, est aussi devenue des plus envahissantes.
“Si au moins sa passion rapportait de l’argent ! Mais c’est le contraire et il veut en faire une association à but non lucratif ! Se disait-elle. Non seulement il dépense de l’argent pour, au final, ne pas en gagner, mais, en plus, son projet lui prend tout son temps, alors que moi je travaille quasiment tous les jours, toute la journée, et que je dois encore en plus m’occuper de la maison et des enfants quand je rentre épuisée, et il trouve le moyen de me faire des reproches !”
Et puis je suis mal à l’aise en société, anxieux, stressé… maladivement, au contact des gens.
En dehors de la maison, je suis incapable de faire quoique ce soit sans elle, à part sortir chez mes potes… et encore !
J’évite de me mettre dans des situations qui m’angoissent, pour ne pas nourrir ce mal, autant quand je suis seul que quand je suis avec elle, car je ne veux pas non plus la rendre, elle-même, malade… puisque ce mal semble contagieux.
Donc là, en seulement un jour, elle a retrouvé sa liberté. Elle a (re)pris ses aises. Et même si son taf, son patron, certains de ses collègues de travail et certains clients sont oppressants, par moment, ce n’est rien comparé à moi, qui l’est bien plus, rien que par ma présence. D’autant plus depuis hier, depuis qu’elle est partie, car je ne gère plus rien, plus aucune émotion. Je passe du sourire, aux larmes, à la colère… en quelques instants.
Normal, j’ai perdu ce qui compte le plus à mes yeux depuis 13 ans. Sans aucun préavis.
J’ai perdu la base de mon équilibre, de mes rêves, ma raison de vivre.
Et puis j’ai l’habitude de travailler seul, chez nous, sur notre projet, depuis 7 ans. Un projet complètement décalé par rapport à notre société actuelle. Comment vais-je faire pour continuer sans elle ou pour revenir à la “réalité” ?!
Elle voulait me donner un coup de pied au cul… Bah, c’est gagné ! Sauf que ce coup de pied au cul m’a fait tombé de la falaise plutôt que de me relever…
Elle espérait faire de moi un homme, elle a fait de moi un gamin attardé, presque autiste.
En apparence…
Il s’est passé 3 ans depuis. 3 ans durant lesquels je ne me suis pas seulement remis en question, j’ai remis en question tout ce qui est possible et imaginable.
J’ai appris à me voir et à voir la vie sous tous les autres angles… selon les points de vue de chaque personne que j’ai vues et avec qui j’ai discutées depuis.
Elle, a repris confiance en un jour et/ou une nuit, car elle se préparait depuis bien longtemps. Elle espérait que j’en fasse autant, en si peu de temps… Comment aurait-ce pu être le cas, avec tant de retard ?!
Ce qui devait nous rapprocher nous a LARGEMENT éloignés. Mais pas complètement…
Il aura fallu du temps, beaucoup de temps… de longues années… avant que nos espoirs ne prennent forme, ne deviennent réalité… De longue années durant lesquelles ses propres espoirs ont été LARGEMENT déviés. Mais pas complètement. JAMAIS COMPLÈTEMENT.
Pas complètement, parce que je ne l’ai pas abandonnée et qu’elle n’a pas refait sa vie.
Plus le temps a passé, durant ces 3 années et plus elle a perdu espoir. Elle a même, peu à peu, tiré un trait définitif sur moi, voyant que je ne changeais pas comme elle l’imaginait, comme elle le voulait…
En apparence…
Bien sûr, une partie de moi a continué à “partir en couilles”. Et c’est bien normal car personne n’est et ne sera jamais parfait… et comme on dit “Le naturel revient toujours au galop”. Une partie de moi continue, depuis 3 ans, a souffrir de cette rupture, comme une plaie qui se rouvre, tant qu’on ne la guérit pas.
Mais le ressenti de cette douleur, au lieu de s’intensifier, s’est stabilisé depuis et je m’y suis habitué, au point de l’oublier de plus en plus souvent.
Plus le temps passe et moins je ressens cette douleur qui est, pourtant, de plus en plus intense. Je ne ressens plus cette plaie sous forme de douleur… Je ne ressens plus les maux… sous forme de maux.
Patrick Le Ménahèze