Lettre de Noël d’Apollinaire à Lou.
Nîmes, le 24 décembre 1914
Lou adoré, je suis triste cette veille de Noël car voici le 3e jour que je ne reçois pas de lettre de toi. Tu m’oublies terriblement. Et dans ce cas je ne sais s’il faut me désoler ou t’en vouloir. Il y a des moments où je t’en veux de m’oublier ainsi, j’ai envie de te cravacher. J’ai essayé aujourd’hui un martinet et un fouet de conducteur, les deux vont bien et je crois que tu y goûteras si tu ne tiens pas tes promesses.
Pourquoi n’écris-tu pas ? C’est insensé de me laisser ainsi sans nouvelles. J’en ai les nerfs malades.
(…)
Mais toi, Lou, écris-moi, dis-moi ce qu’il y a, ce qui se passe, ne me laisse pas inquiet. J’ai reçu des nouvelles d’Albert, mon frère.
Il y avait ce soir au courrier 42 lettres pour moi. J’ai paraît-il battu le record de tous les régiments de Nîmes où se trouvent en ce moment 17 000 hommes. Mais parmi ces 42 lettres pas une de mon Lou, mon Lou m’oublie. Mon Lou ne songe pas qu’il me rend malheureux et que s’il me rend malheureux, il eût mieux valu qu’il ne vînt pas me faire de promesses, puisque j’étais parti sans espoir, maintenant qu’il a lui comme une certitude, s’il s’éteignait il faudrait rudement serrer les dents pour se reprendre.
Ecris-moi, je t’adore mais je suis furieux. Ecris-moi, Lou !
Gui
Source : Lettres à Lou