Elle a toujours été ce qu’on appelle « une amoureuse de l’amour » mais pas le genre mièvre, plutôt le genre écorchée vive mélancolique.
Et ça lui avait valu bien des histoires de merde, mais elle ne les regrettait pas, elle avait aimé se croire amoureuse, se sentir amoureuse, elle était assez réaliste sur elle-même, sur ce qui lui arrivait et sur ce qu’elle laissait lui arriver.
Quand le moment de prendre des routes différentes arrivait, oui c’était dur parce qu’elle avait un attachement sincère, mais elle savait pertinemment qu’avec eux elle avait juste cherché à tromper la solitude et quand elle l’a rencontré Lui, tous les autres étaient devenus… Impertinents.
Quand on expérimente ce genre d’amour, on se demande pourquoi on n’a pas fermé nos oreilles aux balivernes suspendues de ces rôdeurs d’amours de rodage, pourquoi on ne l’a pas simplement attendu sagement bras et jambes croisés. Comme une gentille princesse endormie qui attend la venue de son prince.
Lui il était plutôt arrivé comme « le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé, Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie », et il l’appelait affectueusement « Princesse » mais on était loin d’être dans un Disney. Aucune histoire ne se ressemble, les êtres humains sont complexes, on rencontre une personne avec toutes ses facettes, son histoire, son passé amoureux, mais aussi avec les circonstances, l’alignement des planètes, la météo, l’humeur de son boss ce jour-là, les horaires de train, des bus, des métros respectés ou non ce jour-là, donc l’heure à laquelle il a pris son bus, et celle à laquelle elle était finalement partie de chez elle sans se maquiller. Et là des chemins qui n’auraient peut-être jamais dû se croiser se croisent. Deux personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer se rencontrent,ils se regardent et décident en plus de se parler. Il osa! Il osa lui faire un compliment. Il devait arriver au desk prendre son badge et monter, 1 minute à tout casser et basta, mais nan! Un regard qui dure un peu plus longtemps que prévu et elle remarque qu’il est mignon,qu’il a une belle mâchoire, une belle carrure, de beaux yeux marrons, elle lui rend son badge, il sourit, il passe les portiques elle le suit du regard, il s’arrête devant l’ascenseur,se retourne, elle est embarrassée, il l’a vue, il sourit. Ça y est, la danse commence.
Mais c’est pas le bon timing, ils ne le savent pas encore mais ils vont s’adorer, ils ne vont pas arriver à se décoller l’un de l’autre,et ils vont être l’un pour l’autre ce qu’ils n’ont jamais été pour personne, mais c’est « juste » pas le bon timing.
La suite? Bah quelques mois plus tard c’est un amour véritable, ils s’adorent, ils ont décidé de continuer. Ils se sont choisis. Elle n’avait jamais rien trouvé de particulier aux yeux marrons mais c’est devenu sa couleur préférée, elle pouvait construire une vie entière sur ses yeux marrons..
Ils sont en décalage sur certaines choses,le moment, la manière, ils se demandent si l’autre ne mérite pas mieux.. Parfois l’amour s’illustre aussi dans la décision de partir.
Et elle, elle est tellement terrifiée à l’idée de le perdre. Non. Il serait plus juste de dire qu’ elle a l’impression d’avoir désormais quelque chose à perdre, l’impression qu’à tout moment, elle va devoir le rendre. Comme si Tantale n’avait jamais pu étancher sa soif, mais qu’un jour les rouages du supplice s’étaient bloqués et qu’il était finalement parvenu à boire, que les dieux, s’apercevant qu’ils ne l’avaient plus entendu supplier depuis un bout de temps allaient vérifier la situation, découvraient que les rouages s’étaient bloqués et remettaient le supplice en marche. Comme si c’était l’ordre naturel des choses pour elle: le supplice perpétuel.
De la vie terrestre ou l’enfer d’être insatisfait.
Le perdre, qu’il lui redevienne étranger.. Son visage se défigurait à cette idée.. Genre Le Cri de Munch.
Du coup elle essaye de profiter à fond, mais c’est dur.
Un jour il lui a dit « Je veux pas qu’on se rate. Et aux deux sens de l’expression. »
Quand on est d’un naturel solitaire, quand on est blessé, qu’on porte le poids du monde dans sa tête, qu’on vit sa vie comme en noir est blanc, quand on a l’impression d’être une ombre, de vivre dans des ténèbres, où la lumière se fait rare, et bah quand la lumière est là, quand on sent enfin la douceur chaude du soleil..
Quand il cherche à se blottir contre elle dans son sommeil, quand il prend sa main dans la rue, l’arrête pour l’embrasser, quand il cherche sa main au cinéma, quand il cherche toujours à savoir comment elle va, quand il lui demande son avis, son conseil, quand il cherche une oreille, quand il veut être lui-même..
Quand on rencontre quelqu’un qui nous ressemble autant, quelqu’un qui nous voit.
Quand Il est là, quand ils sont ensemble, ce qui pourrait les séparer et si infime par rapport à ce qui les rapproche… Pas besoin d’y réfléchir à deux fois. On verra bien.