« La morsure du refus »,
Joseph Conrad, dans Lord Jim
Il nous semble parfois préférable de taire nos vérités, plutôt que de nous retrouver confrontés au jugement, à la moquerie, ou au rejet des autres. En amour surtout, l’aveu des sentiments amoureux peut être assimilé à une épreuve insurmontable. En effet, si ces derniers naissent dans le plus grand des secrets, au sein de notre esprit, ils peuvent être vécus comme illégitimes ou insensés. Cependant, une fois que nous sommes assurés de notre état émotionnel, nos sentiments ne peuvent disparaître si facilement, et nous cherchons désespérément un moyen de nous en débarrasser. Avouer, mentir, ou espérer oublier. Pourquoi avons-nous si peur de dire « je t’aime » ?
S’en vouloir, plutôt que de l’accepter :
l’autre n’est pourtant pas ce monstre que l’on s’imagine.
La réalisation de nos sentiments amoureux n’est pas toujours propice à la célébration, elle peut aussi être vécue comme un imprévu dramatique. Nous cherchons d’abord à nous taper la tête contre le mur, dans l’espoir que nos pensées s’alignent de nouveau comme avant. Impossible. Alors vient la douloureuse acceptation, et l’impression persistante que nous aurions pu nous empêcher de commettre cette erreur irréparable. Mais est-ce un crime de succomber au charme de quelqu’un ? Certes les réflexions obsédantes, les doutes, et l’estime de soi qui fait une chute phénoménale, sont des facteurs qui viennent troubler notre quotidien déjà instable.
Mais il y a aussi l’espoir. Malgré nous, et envers et contre toute logique nous laissons la porte entr’ouverte à un scénario final agréable. Disons que dans 90 % des cas, nous imaginons sa réponse condescendante et froide, qui nous fera perdre notre dignité et fera couler nos larmes. Les 10 % restants sont pour l’espoir donc, le turning point romantique, la réciprocité inattendue. Heureusement ou hélas, la réalité du monde n’est que très peu manichéenne, et probablement que votre interlocuteur/interlocutrice ne sera ni votre bourreau, ni le personnage central insoupçonné de votre existence. L’autre n’est qu’un être de plus, errant à tâtons dans cette vie complexe, tout comme vous, et sa réaction ne sera vraisemblablement ni cruelle, ni miraculeuse, mais simplement un mélange de gêne, de reconnaissance, et de gentille compréhension. Décevant, hein ?
Mais faut-il rester cynique face à notre instinct ?
Faites-vous confiance. Quelle que soit la situation, si vous être sûr/sûre d’avoir perçu des signes troublants dans le camp adverse, ou si vos sentiments sont si forts qu’ils ne peuvent demeurer inavoués, lancez-vous. Mieux vaut savoir à quoi vous en tenir, plutôt que de gâcher votre temps à vous poser des questions dans le vide. Plus facile à conseiller à quelqu’un qu’à réaliser en temps réel, mais c’est là votre seule perspective de libération. Ne vous laissez pas écraser par la peur, puisque vous n’êtes ni la victime ni le bourreau, vous n’êtes tout simplement pas responsable. Tentez par tous les moyens de sublimer vos émotions, car l’amour désintéressé se fait rare de nos jours. Et quelle que soit sa réaction, vous aurez fait preuve de courage. Vous aurez osé aimer, et c’est là que résidera votre vraie victoire. Dites-le lui ou dites-le vous à vous-même, tant que vous assumez vos sentiments sans honte. Les attentes, elles, ne seront qu’autant de futures déceptions. Et surtout n’oubliez pas qu’une histoire se construit lentement, et qu’elle doit passer un certain nombre d’étapes avant de se matérialiser en amour. N’en faites jamais un unique objectif, ou vous risqueriez de passer à côté du reste de votre vie. Mais n’abandonnez pas non plus tout espoir, l’amour n’est rien d’autre qu’une agréable surprise sur laquelle vous n’avez (presque) aucune prise.
Il/Elle ne sera pas votre ami/amie si vous l’aimez.
Quoiqu’il arrive, prenez immédiatement vos distances s’il/si elle ne partage pas vos sentiments. Je sais que si vous en êtes arrivé/arrivée à ce stade, vous devez vous sentir épuisé/épuisée. Allez, encore un dernier effort afin que vous puissiez vous relever rapidement, dites-lui au revoir. Ne vous forcez pas à faire semblant face à lui/elle, à lui offrir vos sourires, ou à rire faux. Patience est mère de vertu ; Si votre histoire doit un jour commencer, comme vous l’indique votre instinct, c’est que cette fois-ci le timing n’était pas encore le bon. Au contraire, si vous percevez que c’était la dernière chance qu’avait votre amour de naître, vous en ferez le deuil. Certaines envies ne sont pas faites pour être assouvies, mais pour nous apprendre une leçon. Retenez qu’un au revoir n’est pas un adieu, et que le monde ne cessera pas de tourner si vous l’oubliez pour un temps. Il vous sera aussi bénéfique d’avancer sans frein. Et surtout n’oubliez pas que l’amour unique n’existe pas, et que vous aurez plus de chances de reconnaître une âme sœur si vous vous sentez prêt/prête à lâcher prise.
Et, très important, si vous vous aimez beaucoup plus qu’un petit peu.