L’amour de la vie VS la maladie
Par Audrey
« L’espoir n’est pas de croire que tout ira bien, mais de croire que les choses auront un sens. » Vaclav Havel
Je crois bien que l’espace d’un instant, j’ai pensé à disparaître, partir. Mourir ?
Lorsque le médecin m’a annoncé le diagnostic, je me suis tout simplement dit que j’étais maudite et que je n’aurais pas la force de lutter contre cette épreuve supplémentaire, de combattre cette maladie chronique. Je ne voulais pas voir mon quotidien assujetti aux douleurs parfois si fortes que je ne peux plus me lever, à l’asthénie qui me bouffe toute mon énergie, aux différents symptômes qui m’empêchent de plus en plus de supporter mon corps et de conserver toutes mes capacités, intellectuelles également. J’ai eu peur de perdre ma dignité.
Je ne voulais surtout pas imposer à mon fils l’image d’une maman affaiblie, malade, angoissée, triste. Lui faire subir une vie rythmée par les crises sournoises de la maladie et l’angoisse du lendemain.
J’avoue que oui, je me suis dit, « à quoi bon ? »
Oui, quand j’ai réalisé l’ampleur de la maladie, que j’ai compris que j’allais devoir vivre avec chaque jour, j’ai manqué de courage. Ai-je fait preuve de lâcheté, d’égoïsme ? Sur le moment, j’ai juste voulu protéger mon fils, le préserver de tout ça. Je me suis dit qu’il méritait mieux qu’une maman malade qui ne peut plus jouer aux mêmes jeux, faire les mêmes balades certains jours et prévoir des activités ; se lever en forme tous les matins tout simplement.
Alors oui, cette pensée m’a furtivement effleuré l’esprit, je ne vais pas mentir. Et je me suis dit que mon fils serait peut-être mieux avec son père, qu’il ne me subirait plus ainsi chaque jour les aléas de la maladie.
Et puis… Je me suis demandé quelle était réellement la meilleure décision. Le garder près de moi en luttant contre la maladie ? Lui faire comprendre que oui, maman est malade, mais que ce n’est pas grave ? Ou renoncer à sa garde, le laisser 80% du temps chez un père qui se soucie de lui à peine un weekend sur deux ? Sa vie serait-elle vraiment plus joyeuse, plus équilibrée, plus heureuse avec un père toujours absent, peu concerné ?
Fallait-il tout changer, bouleverser ses habitudes de petit garçon ? La réponse est venue d’elle-même, mettant fin à ma possible hésitation. Son père a appris que j’étais malade, je ne pouvais pas lui cacher. Sa réaction ? Inexistante. Au contraire, malgré quelques appels au secours pour qu’il garde le petit plus souvent et surtout malgré les signaux d’alarme envoyés par notre fils qui exprimait ainsi sa détresse, il n’a rien fait. Je ne lui demandais rien pour moi, pas de compassion, ni même un quelconque intérêt feint, mais j’aurais aimé qu’il se comporte enfin comme un père concerné, soucieux du bien-être de son fils. Mais il n’a rien proposé.
Mais au final, j’ai presque envie de dire tant mieux, de dire merci ?
Ai-je été égoïste en gardant mon fils près de moi ? En puisant dans son innocence, sa joie de vivre, sa force, le moyen de combattre la maladie, de lutter chaque jour ? C’est souvent difficile, terriblement frustrant et parfois angoissant mais c’est vital. Mon fils m’insuffle une force incroyable lorsque je suis proche de baisser les bras, il me réconcilie avec la vie.
Cette maladie ne met pas ma vie en danger au sens littéral du terme, mais elle a considérablement modifié mes habitudes, mon quotidien, mes possibilités et donc ma personnalité. Je vis avec les contraintes imposées par ce mal. Douleurs diverses, fatigue intense, symptômes si variés qu’on ne se reconnait plus ; mon corps, par moments, ne m’appartient plus, et mon esprit est dans le brouillard.
Je ne vois pas d’issue lorsque la maladie prend tellement de place que je suis incapable de penser à autre chose et que j’ai l’impression que le combat est vain. Il s’agit de survivre, pas de vivre.
Et à l’inverse, lorsque le mal me laisse du répit, je me dis presque que c’est un mal pour un bien, que grâce à cette épreuve qui m’a servi d’électrochoc, je vais, je veux, je peux et je dois faire ce que j’aime, être celle que je veux être, m’épanouir, ne plus être contrainte autant que possible. La vie est courte on le sait et les instants de bonheur, si rares, sont à chérir. Je ne veux plus laisser les jours défiler sans que les choses ne changent, même si je suis morte de peur, même si je ne sais pas comment faire, par où commencer parfois, souvent.
Suis-je capable avec ce handicap invisible qui me fait perdre une partie de mes capacités, qui ronge ma liberté, qui ampute une partie de ma vie, de conserver ma créativité, mon envie d’entreprendre, d’oser, d’être ?
Un pas après l’autre, un jour après l’autre…
On puise sa force là où on peut. Pour tenir le coup, se réconcilier avec la vie, garder cette envie d’avancer. Pour ma part, mon fils est mon moteur, comme beaucoup de parents je pense. Lorsqu’une épreuve nous tombe dessus, et que l’affronter ne dépend pas seulement de notre volonté, il faut se raccrocher à quelque chose, à quelqu’un. Et en même temps, il faut essayer de garder intacts notre foi en nous-mêmes et en la vie, notre moral, notre rage de vaincre !
La vie apporte son lot d’épreuves et d’injustices qu’on ne peut pas quantifier. Certains ont la chance d’être nés sous une bonne étoile et d’être épargnés par la vie, d’autres doivent affronter le deuil, la maladie, les moments de détresse intense.
C’est souvent ce qui nous fait réaliser l’urgence qu’il y a à profiter de la vie, à vouloir accomplir quelque chose, à se réaliser, à atteindre une certaine forme de sérénité.
Se lever, en dépit des douleurs morales ou physiques, retenir ses larmes de découragement lorsque le miroir renvoie un visage épuisé, et adapter sa vie à son nouveau rythme, ne plus se laisser polluer par des choses insignifiantes et des parasites, oser dire non, ne plus subir. Le combat est long et difficile mais il y a toujours l’espoir et cette métaphore si parlante de la lumière au bout du tunnel qui nous guide sur le bon chemin, qui donne la force de continuer chaque jour.
Je n’ai pas le monopole de la souffrance et je n’ai hélas pas trouvé de recette miracle pour vaincre mon mal, je n’ai pas de solution toute faite pour réussir à changer de vie en un claquement de doigts. Mais je sais que je suis à une période charnière, à un moment décisif et que je peux dire aujourd’hui que je sais ce qu’est le prix de la vie. Que chaque moment de répit, de plaisir, d’insouciance a dorénavant une saveur mille fois plus intense que par le passé parce que j’en connais à présent la préciosité. On dit que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Et c’est vrai, mais ce qui est surtout essentiel, c’est de croire en soi et de continuer à célébrer chaque jour, à son échelle, la vie !