Louise,
Je ne sais pas trop par où commencer, je vais donc céder à la facilité linéaire, débuter par le début. Il t’a choisie, tant mieux pour toi. Je l’appréciais mais sans plus, émotionnellement son départ était tout à fait soutenable. Je n’attendais même plus rien de sa part et je ne n’avais plus envie de sa présence. Son comportement m’avait assez agacé, ses paroles me dégoutaient, ses excuses ne me faisaient plus rien.
J’ai souvent été la fille qu’on met de côté pour coucher, celle qu’on dit apprécier, qu’on promène un peu parfois en la présentant comme une amie mais celle avec qui on n’engagera jamais sa vie. Je m’y étais presque habituée bien que dans certaines configurations cela me blesse un peu ou me gêne. L’aspect dégradant s’instaurait lorsque la sincérité faisait surface. Qui étais-je au juste, pour ces garçons que j’ai rencontrés ? L’amie ? L’amante ? Plutôt celle qu’on appelle seulement quand on a froid ou plutôt celle qu’on serait prête à rassurer si besoin ? Mon indépendance est parfois un problème, ne pas avoir d’attaches ne dispense pas d’un cœur. Ce cœur n’est pas nécessairement amoureux, parfois si, parfois non, il ne l’était pas et pourtant, il fut blessé.
Ton copain a choisi de m’ignorer quand je ne lui rapportais rien mais toi, tu as fait l’inverse, je ne pouvais t’apporter que du mal, de la jalousie, pourtant tu as posé un regard incendiaire sur mon existence. Il m’avait radiée de sa vie, il ne me saluait même plus, lorsqu’il avait besoin d’une information que j’étais seule à disposer, il passait par un intermédiaire, un ami commun qui n’aurait pas pris position ou encore une simple connaissance qui ignorait tout de la tension. J’étais devenue un fantôme à ses yeux et on dit qu’on n’existe qu’à travers le regard de l’autre : en me radiant ainsi de sa vie, il me radiait d’une partie de mon existence, m’interdisait des souvenirs.
Toi, au contraire, tu étais l’enfant chérie. Tu es la fille mignonne au visage poupin, celle dont personne ne parle avec raison dans le dos. Je plongeais en enfer, tu atteignais le paradis. On m’évitait, on ne voyait plus qu’en moi « celle qui a couché avec », on ne me saluait plus mais toi, tu resplendissais comme je n’avais jamais resplendi. On t’offrait les anges, tu les côtoyais et présentais le tout à grand coup de photos Instagram, le genre de photos que je n’aurais jamais pu poster, on ne m’a jamais offert ces anges-là.
Petit à petit, je suis passée de fantôme à persona non grata. C’était officiel, c’était dit. Je n’avais aucune envie d’envahir votre monde, je m’y serais sentie affreusement mal, je voulais même l’éviter. Et pourtant, on m’a refusé un droit d’accès que je n’avais jamais demandé ou désiré. Les paroles étaient clairs « tu fais du mal à ma copine ». Mais comment puis-je moi, dans cette position honteuse, recroquevillée sur le peu de fierté qu’il me reste, représenter le moindre danger pour toi ? Tu sais que je ne suis rien. Alors pourquoi t’acharnes-tu ? Pourquoi sembles-tu chercher mon égo dans l’exposition de mes émotions ? Le seul égo que je puisse tirer est celui du courage suite à cette mise à nue.
Je suis la fille honteuse, celle qu’on cache, celle qu’on n’aime jamais assez, celle qui n’a qu’un seul intérêt, celle qu’on expose, celle qu’on utilise. Et surtout, je n’ai jamais, jamais voulu attirer une réelle attention de la part de ton copain. Je voulais juste qu’il me dise bonjour, peut-être même pour avoir le plaisir de l’ignorer. Je voulais juste être traitée comme une personne qui existe, comme quelqu’un en chair et en os, et non pas en plastique. Je ne demandais aucune place, seulement d’être visible.
Je ne sais à présent plus si j’ai de l’empathie parce que je pense peut-être comprendre ta position, ou si je te déteste pour m’avoir fait sentir si mal. Sur les albums photos, tu serais celle que l’on identifie, celle que l’on présente, celle qui apparaît en couleurs alors que je ne suis qu’un souvenir en noir et blanc. Mais s’il-te-plaît, n’efface pas mes photos. Elles ne seront jamais glissés à côté des tiennes, tu n’as pas à t’inquiéter. Laisse-moi même le droit de les déchirer avec mes propres mains, laisse-moi le droit de croiser ton copain dans la rue sans avoir à baisser le regard.
Je ne pleure pas ce garçon que je n’ai jamais tant regretté, je te l’ai laissé sans résistance et sans grande volonté de me battre, assistant à vos rapprochements, vos rires autour de la photocopieuse comme simple témoin. Il ne me manque pas et je suis heureuse, mais aussi blessée, je me sens coupable. Pourtant, qu’ai-je fait de mal ?
Rien, je le sais. J’ai arrêté de lui envoyer le moindre message quand j’ai compris la place grandissante que tu prenais dans sa vie. Pour lui, t’étais plus forte que n’importe quoi, je ne suis qu’un visage vaguement connu dans la foule. Contente-toi s’il-te-plaît d’aimer ta place, de l’apprécier, de profiter d’être aimée. Contente-toi de m’avoir remplacé dans les discussions, d’autant plus que ta place y est plus sincère et dépasse largement la simple apparence à laquelle je servais. Accepte son passé, d’autant plus qu’il est totalement révolu.
Laisse-moi juste exister à présent.
Ania