Voici une lettre d’amour pour un amour non réciproque écrite par un lecteur : Shaunik Rai
Lettre d’amour pour un amour non réciproque
Ma Chère,
Je ne peux pas dire t’avoir perdue pour la simple raison de ne t’avoir jamais eue.
Si Cossa Nostra a été le béguin puéril ou de la folie passionnelle, je n’en sais plus rien.
En fait, je me suis perdu en essayant de te retrouver en autrui, en moi, au claire de la lune, aux abîmes de la nuit solitaire.
De toute façon, je me rends compte d’être tombé amoureux non pas d’une personne en chair et en os mais d’une idée à moi, une création fantaisiste que j’ai projetée sur toi.
Et malheureusement, je n’ai jamais eu la chance de te connaitre assez bien afin de rendre compte que la réalité est bien éloignée de ma folie.
Quand-même je tiens à te remercier pour cette douleur ; tu sais, j’en avais bel et bien besoin – pour mon art.
Dans ma solitude, au fin fond de ma dépression débilitante et proche d’hystérie, j’ai découvert une force en moi, qui a longtemps sommeillé.
J’ai parcouru des oeuvres d’antan et ces braves sages du temps jadis m’ont expliqué que ma douleur, d’où travaille une terrible sagesse divine, est augure d’un certain destin.
Mais d’abord, il faut faire le chemin : la destination est prometteuse toutefois je dois voyager seul, comme un adulte – comme il faut.
L’amour est la lutte, le mûrissement, l’épanouissement, mais enfin l’anéantissement.
Bref, le Nirvana Bouddhiste, quoi.
Aimer, c’est ça le vrai courage. Mourir, c’est facile ; vivre est difficile, d’autant plus après ce qui m’est arrivé là.
L’amour (ou bien sa perte) m’a évidé et il a fait de moi une flûte pour que je puisse chanter la chanson des chansons, au rythme de mon coeur qui est désormais devenu le tambour des tambours.
A la touche de l’amour, tout homme devient poète : comme ma prose est lyrique, ou n’est-ce que la musique de la langue française ?
Les sages disent ainsi : quand le coeur pleure sa perte, l’âme se réjouit de son gain.
Je n’ai pas pu jouir de toi ; par contre, cette mélancolie, vin divin brassé des raisins de ma joie grotesque bafoué,s m’a enivré à merveille.
Si je t’avais eue, je ne me serais pas actualisé, je n’aurais pas été ranimé; cependant j’aurais été content.
Mais il faut souffrir pour être beau, non? Et en voilà la terrible sagesse.
Parfois, ne pas gagner ce que l’on veut, c’est la meilleure chose au monde qui puisse nous arriver, dit le sage.
Peut-être ne suis-je qu’un petit enfant gâté qui, étant refusé des bonbons désirés, pique une crise ?
Peut-être ne suis-je qu’un bourgeois aux prétentions de gentilhomme et qui cherche à séduire une belle marquise ?
Et j’en passe. En fin de compte, je n’ai eu ni les bonbons ni la marquise.
Le bon dieu me les a enlevés et, à leur place, m’a offert la sagesse.
Certes, je suis désormais plus sage, plus mûr, voire plus virile que je ne l’étais.
J’ai traversé l’enfer et je m’en suis sorti (peu importe que j’y aie mis une bonne dizaine d’années).
Je me rends compte que tous les deux, on est que de l’huile et du vinaigre, immiscibles.
L’orient ne comprendra jamais l’occident et reciproquement.
Mais il faut aller de l’avant.
Il faut cultiver son jardin.
Et je ne regrette rien.
Toute cette douleur, ces larmes chaudes, ces nuits blanches, ces cigarettes et ces flacons de pinard m’ont rendu humain.
Les âmes les plus douces avaient toujours connu les cruautés les plus dures.
Je suis conscient qu’il faut de terribles épreuves pour faire d’un galopin un homme.
Si je peux revisiter mon parcours, je n’y changerais de rien. Cela a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Par conséquent, je tiens à te remercier.
Bien que je ne puisse à cette date t’appeler ni mon amante ni mon amie je te suis reconnaissant de ton franc-parler, de ta divine patience et de m’avoir éclaté la bulle de mon égo et de m’avoir sorti de ma petite coquille.
Consummatum est. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum.
Shaunik Rai