Juliette Drouet (1806-1883) fut la maîtresse du grand poète français et écrivain Victor Hugo (1802-1885). Elle fut également une inlassable épistolière. Ses lettres à Hugo sont quasi quotidiennes. Leur rencontre a leu en 1833 et Juliette devient sa maîtresse. Elle lui consacrera sa vie et le sauvera de l’emprisonnement lors du coup d’Etat de Napoléon III.
A Juliette le 31 décembre 1851, 8h du soir
Mon doux ange bien aimé, voici l’année qui finit, année de douleurs, année de luttes, année d’épreuves, l’année qui commence sera l’année d’espérance de joie et d’amour. N’en doute pas, car c’est tout mon cœur qui me le dit. Je suis proscrit, banni, exilé, séparé des miens, pauvre, errant, frappé au cœur et pourtant, quand je me tourne vers toi, il me semble que je vois le bon Dieu qui me sourit. Tu as été admirable ma Juliette dans ces sombres et rudes journées. Si j’avais eu besoin de courage, tu m’en aurais donné, mais j’avais besoin d’amour, et sois béni, tu m’en apportais ! Quand, dans mes retraites toujours périlleuses, après une nuit d’attente, j’entendais le matin la clef de ma porte tressaillir sous ta main, j’oubliais tout, je n’avais plus de périls ni de ténèbres autour de moi, c’était la lumière qui entrait ! Ho n’oublions jamais ces heures terribles et pourtant si douces où tu étais près de moi dans les intervalles de la lutte ! Rappelons-nous toute notre vie cette petite chambre obscure, ces vielles tapisseries, ces deux fauteuils côte à côte, ces repas au coin de la table avec le poulet froid que tu apportais, ces causeries si tendres, tes caresses, tes anxiétés, ton dévouement ! Tu t’étonnais de mon calme et de ma sérénité. Sais-tu d’où me venaient cette sérénité et ce calme ; c’était toi. Vois tu, Dieu ne frappe jamais tout à fait, il nous a jeté ici, mais ensemble. Qu’il soit béni.
Dans ces années si vite écoulées, hélas, ton âme a dépensé des trésors de tendresse, de dévouement, de fidélité, de vertu, et pourtant cette belle âme est plus riche que jamais. Tes yeux m’ont donné bien des sourires, ta bouche bien des baisers, et pourtant ton doux visage est plus jeune que jamais. Tu as tout donné et tu as tout gardé. J’ai eu tout et tu as tout. Il n’y a que les astres du ciel qui puissent ainsi donner sans cesse leurs rayons sans diminuer leur lumière. L’année qui vient de finir a été triste. Une moitié de mon cœur est morte. Oh ! Que tu as été douce pour moi dans ces heures d’angoisse ! Que Dieu te récompense et te bénisse ! Ton amour, ô mon ange, ressemble à la vertu.
Je t’attends ce soir avec bien de l’impatience. On dirait que les battements de mon cœur voudraient hâter les pulsations de la pendule pour y arriver plus vite.
Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée, quand mes yeux fatigués seront fermées au jour, dis-toi, si dans ton cœur ma mémoire est fixée :
Le monde a sa pensée
Moi j’avais son Amour.
Victor Hugo
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Source : http://etesvouslivres.org/victor%20a%20juliette.pdf