Demain, le 13 octobre 2016, la correspondance amoureuse de François Mitterrand adressée à Anne Pingeot sort aux éditions Gallimard : « Lettres à Anne ». Pas moins de 1218 lettres seront donc sous les yeux de milliers de lecteurs avides de comprendre leur relation.
Ma première réaction
Ma première réaction quand j’ai appris la nouvelle était la joie, la joie de la découverte, la joie de la « moi » voyeur. Parce que c’est ce que l’on est au final, des voyeurs. Nous aimons à savoir l’intimité des personnes que l’on connaît à travers le prisme des médias et de la célébrité, nous aimons connaître les joies et les peines de ceux que nous voyons toujours sous le même angle.
Et très rapidement, je me suis dis que non, que je ne voulais pas lire cette correspondance, parce qu’elle est trop fraîche, parce qu’Anne Pingeot est toujours vivante, parce qu’elle m’est contemporaine, parce que j’aurais l’impression d’entrer illégalement dans une relation qui n’est pas la mienne.
Alors, vous allez me dire : « mais Léa, tu publies plein de lettres d’auteurs connus ou de personnages historiques, c’est la même chose non ? ». Pas pour moi, parce que Hugo, Baudelaire, Zola, Apollinaire, Napoléon…Tous ceux qui sont publiés sur le site sont si loin de moi qu’ils sont presque fictifs dans mon esprit.
Sortir une telle correspondance quand l’un des deux est encore en vie me met mal à l’aise, les gens vont juger, analyser, se délecter de ces moments d’intimité qui ne sont pas les leurs. Je me demande aussi ce qu’en aurait pensé François Mitterrand, lui a-t-on posé la question ? Aurait-il accepté ? Je ne sais pas, peut-être était-ce un pacte entre eux, je n’en ai aucune idée.
Et nos lettres ?
On en vient forcément à se poser la question de nos propres lettres ? Aurais-je envie, qu’après ma mort, les lettres que j’ai envoyées à mon conjoint soient publiées ? Auriez-vous envie que toute votre intimité, tout ce que vous avez de plus profond, soit dévoilé au grand jour ?
J’ai déjà eu entre les mains des correspondances épistolaires publiées par les enfants après la mort de leurs parents. Est-ce qu’ils le voulaient ?
Je sais que mes parents se sont énormément écrits lorsqu’ils étaient jeunes mais pour rien au monde je ne voudrais lire leur correspondance, je trouverais ça malsain, presque incestueux quelque part, encore une fois, c’est de leur intimité qu’il s’agit.
L’épistolaire, le genre de l’intimité
Le genre épistolaire est le genre de l’intimité par excellence. C’est aussi pourquoi il m’a toujours autant attirée, ce pour quoi je fais ce métier aujourd’hui. Toutefois, j’ai également conscience de l’énorme part de voyeurisme là-dedans. Je ne sais pas comment ont réagi les enfants de Danielle et de François Mitterrand, comment a réagi Mazarine, fille d’Anne Pingeot et de François Mitterrand. Nous sommes là, ne connaissant rien d’eux si ce n’est leur parcours professionnel et ce que les médias nous ont dévoilé. Mais nous ne les connaissons pas personnellement, et encore moins intimement. Mais que va-t-on apprendre avec la publication de ces 1218 lettres ? Quels gros titres racoleurs vont apparaître ? Quel film va être proposer pour retranscrire cette correspondance ?
Nous sommes certes dans le passé mais avec des contemporains, cela change la donne pour moi.