3h49. M’entends-tu ?
Le temps me martèle en tête, que je suis toujours un prisonnier, mais restera mon geôlier. Tic-tac, le temps s’écoule dans ma prison sans cesser de me rappeler, ta disparition…
3h55. Où es-tu ?
Mère, veilleuse, cela fait 45 ans que tu es partie… Me gardant près de toi, prévenante de mon éveil, Mère, qui veille.
4h02. Comment vas-tu ?
J’ouvre les yeux, épuisé, actif de ton passif, écho d’une rencontre oubliée, de mes futurs espoirs passés.
4h07. Imagines-tu ?
Mon cœur me parle quand je pense à toi ; le sang n’est pas de l’eau, si tel était le cas, il serait un fardeau. Ce sang, t’apprend à reconnaître ce qui vaut, un lien intangible, qui ne ploiera jamais comme le roseau, dont la souplesse ne peut être brisée face à la rudesse des impardonnables maux…
Je sais, Mère, veilleuse, mon cœur divague souvent, me donnant l’impression qu’il ne m’appartient pas, ici-bas… Tu n’es plus là…
4h18. Te souviens-tu ?
J’ai acheté un olivier, que j’ai fait planter au bout du jardin. Je suis allé le choisir, en Espagne, pour toi, rien que pour toi ; ta terre natale, celle de tes ancêtres, celle qui te faisait me chanter de jolies chansons magiciennes, sur le doux son de « contines » Madrilène. Hocus Pocus, focus sur ta voix hypnotique, me berçant dans un opus, 9ème symphonie de ma vie, roulant les consonnes, visualisant tes mots, perlants à travers tes lèvres poétiques. Proches de mon oreille, fredonnent… Yo te quiero mi corazón …
4h33. Qui es-tu ?
Je le vois chaque matin, planté, enraciné, dévoilant sa beauté aux premières lueurs de la journée, telle Daphné me faisant signe d’un geste désespéré, demandant pardon à Ladon. Il est fort, ses feuilles ont la couleur de tes yeux, son écorce, celle de ta peau que tu m’as laissée, ma peau cappuccino qui m’a blessée, de mes cheveux corbeau, combinés pour obstruer dans notre société, la voie de la pluralité. Te jugeant sur l’apparence, armée de méfiance, t’offrant des doutes sans la moindre chance d’une écoute…
4h41. Le sais-tu ?
L’olivier n’est-il pas le symbole de la sagesse ? Athéna ne me contredira pas ; moi qui pensais que la sagesse s’acquérait avec la vieillesse, alors qu’elle prend tout son sens dans la détresse…Et pourtant…
4h47. Regrettes-tu ?
Haut comme une demi-pomme, je n’étais pas encore celui que tu ne connaîtrais pas, celui que je suis devenu, toi qui guidais mes pas dans le tunnel de ma vie vécue, celui qui deviendrait un homme ; tu serais fière de moi, toi qui es partie, toi qui ne « t’aies » pas relevée, après cette nuit de février, sous la couleur de la colère d’un homme possédé, d’un homme animé qui te faisait danser, danse macabre, un homme bourré de palabre… Un homme qui était… mon géniteur, misère, malheur… Poignarde…
5h00. Comprends-tu ?
Ironie de la fatalité, tu m’as senti 9 mois en toi, 9 mois avec toi, 45 ans, sans moi. Tu me connais, tu sais mieux que personne, qu’il m’est aisé de m’exprimer, de me dévoiler, autant, qu’il m’est difficile de l’accepter. Las, de ne trouver ma place, une nouvelle mère s’était présentée, mais cela fait partie d’une autre histoire, une histoire que je ne t’aie jamais contée, certainement pas… Tu ne mérites pas ça…
5h19. M’excuses-tu ?
Comme l’amour, je pensais que les histoires étaient uniques, mais m’aperçois qu’elles ne sont qu’une continuité. Elles nous permettent de nous découvrir, de raviver une histoire passée, une histoire délavée, liées entre elles par un maillon, le maillon de la destinée. La chose la plus importante, Mère, veilleuse, c’est le temps que les êtres aimés, à l’intérieur de nous, passeront à exister… Ce message est le dernier que je t’écrirai, je dois t’oublier, je me le dois et me l’imposer…
5h28. T’éveilles-tu ?
Ce matin, je me prépare un café noir et serré, comme tu l’aurais aimé ; comme ceux que tu me préparais quotidiennement durant toutes ces années, sans toi. Doucement, la clarté fait surface ; Je pense à toi… Une dernière fois… Mère, qui veille, le bonheur ne se garde pas, il ne réside pas dans les apparences, pour les personnes que l’on aime, chacun d’entre nous le construit et l’imagine à chaque instant de sa vie. C’est ça le bonheur, Mère, veilleuse, celui qui te fait prendre conscience d’apprécier ce que tu as, sans essayer, de pourvoir à ce que tu n’as pas…
5h45. Comprends-tu ?
Je dois y aller, on m’attend ; je retourne dans l’arène en bon gladiateur que je suis, non pas pour moi, Mère, qui veille, mais pour offrir aux enfants abandonnés, un Noël tendre, chaque jour avant la fin décembre. Non, ne t’inquiète pas, j’en garde un peu pour moi, ça me suffit, j’ai appris à goûter le goût de peu, que le goût de trop d’un coup et tu les verrais, comme je les effraie, mes concurrents, ils ne savent pas pour qui je me bats, ils me surnomment « El diablo », ça t’aurait fait sourire, j’en suis sûr, ta demi-pomme est devenu un homme. Il est temps, je dissimule ma mélancolie, je t’ai laissé partir délicatement, tendrement au fond de moi, de mon dressing mental je choisis et revêts de nouveau, sous mes yeux, mon masque d’homme fort, effrayant…Pour eux
5h54. Tu auras vécu !
Dans ma vie, ce que vivent les roses une matinée de fin d’été, alourdies sous le poids de la rosée. Tu auras vécu, ce que vivent les roses un jour de septembre, sous le poids de la lumière déclinante, descendre. Tu auras vécu, ce que vivent les roses un soir de février, sous le poids des coups, piétinées, pour m’offrir la fragrance de l’odeur, de l’arrière-goût du regret…
6h00 Me pardonneras-tu ?
Je me libère, ma Mère, veilleuse ; Je m’éveille, ma Mère, qui veille.