Encore un sublime texte de Dylan Pédron : Seul au milieu de la foule.
Seul au milieu de la foule
Tu la connais, cette sensation qui survient alors même que le meilleur est à portée de main, ce sentiment de vide alors que les gens auxquels tu tiens le plus sont là pour graver de nouveaux souvenirs dans le marbre de votre amour.
Tu la connais, cette impression de déjà vu quand tu rencontres une personne géniale et que cette entrevue ne dépasse pas l’étape resto. Resto qui termine par un dessert éventé quand tu espérais quelque chose de plus sucré, qui dure en bouche et dans le cœur.
Tu la connais, cette déception quand tu te sens prêt pour de grandes choses, pour bâtir les plus beaux projets, pour attiser les meilleurs espoirs et que rien n’arrive, alors que tu es sur les starting-blocs, prêt à réussir ta vie comme tu l’entends.
Et cette phrase, la pire de toutes, celle censée te remonter le moral. “Ce n’est juste pas le moment. Ton heure viendra !”. Mais la mort aussi est un moment qui doit venir et pourtant, on ne reste pas là à l’attendre passivement. Je me sens seul au milieu de la foule. C’est triste mais c’est ainsi. Comme s’il me manquait un bout de quelque chose, comme si j’avais en mention incomplète dans la fiche de ma vie. Les jours passent et se ressemblent, les gens passent et se rassemblent. Ils sont souvent différents mais finissent par devenir comme tous.
Je me sens seul au milieu de la foule, mal aimé au milieu de mes amantes, lointain au milieu de mes proches, contreproductif au milieu de mes collègues. Et pourtant je ne le suis pas.
Pourquoi ce besoin de toujours vouloir plus, quitte à ignorer toute la chance qui nous est accordée ? Pourquoi ce mal-être de se sentir laissé à l’abandon quand tant de mains sont tendues ?
La chimère est forte. Celle de la vie idéale, de ces conneries que les fées et leurs contes nous ont inculquées. Disney qui nous persuade que les méchants sont très méchants et les gentils très gentils, que les bons gagnent toujours malgré les dangers et les épreuves, et que l’objectif suprême d’une vie est de “vivre heureux” et “d’avoir beaucoup d’enfants”.
Et voilà. Maintenant on se sent toujours incomplets et rien n’est assez beau pour durer. Trop d’idéalisation a fait que la Woman n’est jamais assez Pretty, ou pas suffisamment Wonder.
Cette idéalisation pousse aussi aux complexes. Comment lutter face à tant de chance, tant de beauté, tant de gentillesse et de douceur que tous ces héros ont et que tu n’auras jamais ? L’humain surhumain hollywoodien qui rappelle à l’humain lambda que tu es que tu ne seras jamais parfait. Et du coup, tu ne te sens pas méritant du bonheur, de telle personne qui sort de l’ordinaire, de telle amie qui prend soin de toi, de telle fille qui a un regard embrasant et embrassant. Tu te contentes de peu et tu perds goût à tout. Alors qu’en fait, en te regardant dans un miroir, tu verrais que tu es super. Que tu es beau. Qu’on est tous beaux. Que le moche de l’un est l’Apollon de l’autre. Et que tant que tu agis en ton âme et conscience, personne ne pourra mieux le faire que toi. Que ton cœur mérite de battre pour toi, pour tes amis, pour ta famille. Que tu mérites d’être heureux.
Je me sens seul au milieu de la foule car, pour une fois, le mirage fait disparaître plutôt qu’apparaître, mirage d’un désert émotionnel que la sur-connexion virtuelle a créé en remplaçant les verres dans un bar par les Hello sur Messenger ou les Matchs sur Tinder ! Les rencontres sont 2.0, les sourires se font en selfie et les liens se créent en USB.
Seuls les trolls continuent de rester dans le réel, eux et leur slogan “Eh, mademoiselle !”. Je me sens seul dans la foule, sur ce sable binaire. Mais je ne le suis pas. A la prochaine oasis m’attend tout un tas de monde. Je le sais, je le sens et j’y arrive. Ce désert m’aura bien desséché mais, à la table d’à côté m’attend un grand verre de réalité.