Tu m’as aimée trop tôt, je t’ai aimé trop tard
Par Audrey
Combien d’années se sont écoulées depuis notre dernière rencontre, fortuite, imprévue, dans les couloirs de la fac ? Nos trois années passées à étudier ensemble achevées une année plus tôt, rien ne laissait présager le hasard de cette rencontre. Enfin, le hasard, non, mais plutôt le destin, qui nous a fait nous croiser dans ce hall. Nous nous étions perdus de vue, partis chacun à l’aventure de notre nouvelle vie, et là en un regard, quelque chose avait changé. Mais ce n’était pas encore le bon moment, notre moment.
Depuis, les messages et les appels ont donné de la matière à notre relation, même si je sais que rien ne peut remplacer cet échange de regard et de sourires, ce langage corporel. Et dire que tout a commencé il y a si longtemps maintenant…
Le bac en poche, me voilà en route pour mon premier jour de fac.
Ma vie d’étudiante parisienne démarre. A peine majeure, plus habituée à la verdure qu’aux stations de métro, je suis en panique. La gare, les correspondances pour arriver à l’université. Je suis déjà venue pour l’inscription, j’en ai profité pour me repérer un peu, mais en bonne petite lycéenne provinciale, j’étais avec ma mère ! Là, je suis lâchée seule dans la folie parisienne aux heures de pointe. Voilà les escaliers pour sortir de la station de métro, la place, quelques arbres, des cafés, j’ai choisi de garder pied grâce à ce petit écran de verdure sur cette place qui m’aidera à m’enraciner en pleine capitale.
En levant les yeux, me voilà face au campus immense, bondé. Je suis perdue. C’est un lundi matin, premier cours de ma nouvelle vie étudiante. Je me perds dans un dédale de couloirs sombres, la salle est en sous-sol, ce n’est pas rassurant du tout, j’ai l’impression de jouer dans un mauvais film d’horreur pour ados. Heureusement je croise une fille avec qui j’ai discuté lors des inscriptions, nous suivons ce cours ensemble. On finit par trouver la salle, plusieurs étudiants sont déjà là attendant le professeur, appuyés contre le mur du couloir. Ce lundi matin d’octobre, en prenant place pour ce cours d’ethnologie, je croise ton regard, tu me souris, je crois bien qu’à mon habitude, je rougis. Je ne sais pas encore que je viens de faire chavirer ton cœur. Je n’imagine pas une seule seconde que des années plus tard, le mien battra à l’unisson du tien.
Pourquoi ne s’est-on jamais revus, alors qu’une heure environ nous sépare ?
Pourquoi n’a-t-on pas dépassé ce lien virtuel pendant si longtemps ? Nous aurions pu aller boire un verre, dîner, faire une balade, se raconter nos vies face à face. Nous aurions pu mais tu as toujours mis cette réserve que je comprends mieux maintenant. Tu avais compris avant moi la dangerosité de la situation.
Tu m’appelles, tu es sur la route. Je ne m’y attendais pas depuis la veille, j’ai le mauvais pressentiment que tu vas annuler ce rendez-vous tant attendu. Ce sera la dernière fois que je douterai de ta parole. Ou c’est ce que tu es, un homme de parole.
Tu te rapproches, je te sers de GPS en temps réel. Tout est si confus, ma tête, mon cœur, mon corps veulent tous s’exprimer en même temps. J’attends ce moment depuis des mois.
Est-ce vrai ? Seras-tu là dans quelques minutes enfin, face à moi ?
Va-t-on enfin se regarder, se sourire, se respirer, se toucher, s’apprivoiser ?
« Bon, je suis dans ta rue, je fais demi-tour ? » Toi et ton humour si cynique…
Le soleil a décidé d’être avec nous pour ces retrouvailles si particulières. Je sors, lunettes de soleil cachant mes yeux. Pour empêcher le choc du premier regard ? Pour que tu ne lises pas directement l’intensité de mes émotions ? Pour ne pas que tu prennes peur ? Pour me protéger encore un peu… Je suis lâche l’espace d’un instant. Mais je crois que j’ai encore une petite minute devant moi le temps de te retrouver dehors. Encore quelques pas avant d’être découverte, pour respirer à pleins poumons. Cette minute, je ne l’ai pas.
Tu es là.
Je crois, non je sais, que je t’ai souri naturellement en te disant « Ah te voilà, enfin ! »
Sourire partagé, lunettes retirées. Ton regard si tendre, profond. Sincère ?
Ces quelques secondes hors du temps, ces quelques pas, et me voilà à quelques centimètres de toi. Un peu de gêne, mais surtout les émotions qui déferlent. Le besoin de se respirer, s’effleurer est trop fort. Es-tu vraiment là ? je suis dans tes bras, enfin. Ce ne sera pas amical, pas fraternel, pas seulement nostalgique, pas encore amoureux. Ce sera un mélange de tout cela, je crois. Notre tout. C’est un instant suspendu que j’ai revécu seconde par seconde, à l’infini des jours entiers.
Comment figer sur le papier ce mélange d’émotions, ces sensations, ce moment à part de la vie, précieux, comme il en existe peu, qui restera longtemps gravé dans ma mémoire ?
J’aurais aimé écrire que depuis l’évidence de nos retrouvailles, on ne s’est plus quittés mais l’amour n’est jamais simple et nous avons souvent le don de nous compliquer la vie.
A force, je me dis que je l’ai peut-être rêvée cette histoire, imaginée, fantasmée même. Jusqu’à la romancer ? Avec le temps, il paraît que les souvenirs s’embellissent. Quoi qu’il arrive, cela restera à jamais un merveilleux souvenir.
Tu m’as aimée trop tôt, je t’ai aimé trop tard.
La vie a joué à cache-cache avec nous. Jamais ensemble mais jamais séparés. Il n’est pas question d’attendre ni d’espérer en vain. Il faut seulement savoir laisser venir et partir les choses à leur rythme. Alors qui sait ce qui pourrait encore se passer à l’avenir ?
Audrey