Archive – Controlling Crowds
La Nouvelle Année avait fait une triste apparition dans un hiver gris, à peine rythmé par mes cours qui ne me plaisaient guère et mon job d’étudiante aliénant. La région parisienne avait été épargnée par la neige, les flocons désirés avaient été remplacés par une fine pluie glaciale qui tombait inlassablement, frappant les carreaux de ma petite chambre sous les toits. Je n’avais que peu de sorties pour rompre avec cette monotonie, ce blues dévorant. Je pleurais quelques fois encore un ancien amour parce que je n’avais plus grand-chose pour me remémorer ma propre existence. Je ne faisais plus qu’un avec les quais de métro, les banlieues mornes, je n’étais qu’un visage ennuyé parmi d’autres lors des heures de pointe dans les transports. J’étais, en petite nature, sans cesse malade. J’avais accepté avec joie une invitation pour une soirée mais elle n’avait pas su briser l’ennui dévorant. Je ne connaissais pas grand monde, pas grand monde ne me connaissait. Je restais seule en faisant mine, pour ne pas être ridicule, d’être absorbée par une importante conversation messenger alors que je battais un record de matchs impressionnants sur Tinder – des garçons que je ne rencontrerais jamais, je n’en avais aucune envie. C’est au cours de cette soirée que je t’ai rencontré.
Tame Impala – Yes I’m changing
La pluie a finalement cessé, j’avais arrêté de tousser. L’air un peu plus doux, je me passais petit à petit de mes gants et mon bonnet de laine. Je n’avais plus froid en attendant, chaque matin, le RER. Mon CDD a touché à sa fin. Mon bail c’est aussi terminé, en même temps que mes partiels et j’ai retrouvé, avec la plus grande des chances, une chambre de bonne correcte au nord du 9ème arrondissement. On y accédait par un minuscule ascenseur plutôt que par des escaliers glissants et le voisin était toujours en déplacement, la mince isolation ne gênait pas, j’écoutais de la musique et parlais fort au téléphone. Nous nous sommes revus plusieurs fois en forçant un peu le destin pour faire de nos rencontres fortuites, des moments planifiés. J’appréciais ta compagnie, j’ai vite compris que tu appréciais aussi la mienne. Je regardais, quand tu avais le dos tourné, ta nuque, tes oreilles, tes cheveux, l’encolure de ton t-shirt. C’était un printemps particulièrement agréable, doux, ensoleillé. Le genre de printemps aux effluves estivales, qui vous donnent des frissons de bonheur.
Beach House – Space Song
L’été est arrivé, les premières soirées sur le bord de la Seine ne se sont pas fait prier. Je me lovais dans ses bras, légèrement alcoolisée par la vodka pomme préparée dans un gobelet que je venais d’ingurgiter. Cet été eu le parfum de ton cou et de tes draps. Il y avait les courses pour attraper le dernier métro, nos élans de tendresse dans les rues de Paris, les matins au son des klaxons 6 étages plus bas. Après l’amour, nous étions obligés de nous séparer pour refroidir nos corps, sous la chaleur des combles de ton appartement. Je me souviens des cheveux collés à mon visage par la sueur, de la moiteur de tes draps, du ventilateur bruyant et des petits matins déjà brûlants. J’allais chercher les croissants dans la boulangerie en face, remontant les escaliers avec peine, m’appuyant contre le mur comme pour y trouver un semblant de fraîcheur. J’avais rencontré tes amis – enfin ceux qui n’étaient pas en vacances au cours des soirées qui avaient cette odeur si particulière, celle de ton cou, de la transpiration du peuple, des rues en été, du rhum bon marché.
Il y avait, lorsque j’interrompais momentanément notre passion nouvelle pour retrouver mon appartement quelques heures, cette étrange nostalgie de l’instant à peine passé. J’étais devenue une jeune femme souriante, heureuse mais toujours dans ton sillage, ne pouvant résister à ton absence qu’à l’idée de notre retour.
L’été, si parfait, se termina sur l’aube du dernier jour d’août. Je te quittai un peu tôt ce matin parce que je devais régler quelques problèmes administratifs et admirais le lever de soleil depuis le train, la musique bien enfoncée dans mes oreilles. Le manque de sommeil m’avait rendue un peu nauséeuse et je fermais les yeux.
Simon & Garfunkel – The Sound of Silence
Septembre arriva sans frapper, je me levais un matin et faisais face à un grand ciel gris, je ressortais les vêtements d’hiver. Je repris les cours dans une nouvelle formation qui ne me plaisait pas beaucoup et qui était loin dans la banlieue à 1h30 de chez toi, je rentrais moi-même tard dans ma petite chambre de bonne au nord du 9ème arrondissement. Je ne recevais plus beaucoup de nouvelles, tu t’éloignais – et j’en étais consciente. Notre couple cessait déjà petit-à-petit d’être et nous n’en parlions pas. Un jour, alors que je te remarquais particulièrement distant, je te demandais pourquoi, tu refusais de répondre. J’avais quitté ton appartement sans discuter et, le lendemain, je t’apercevais, brièvement, avec cette autre fille sur une station de métro. J’étais plus blessée par ton silence que ta trahison mais je n’avais plus la force de me battre. Je te demandai poliment de ne plus jamais revenir, le cœur serré, me demandant pourquoi le destin s’acharnait sur moi de la sorte. Tu as dû comprendre que je savais, tu n’as pas répondu. Peut-être étais-tu un peu lâche. Je m’enfonçai à nouveau, sans grandes larmes, dans ma morosité mais les jours se succédaient, tous aussi tristes les uns que les autres. Douce mélancolie, quand tu nous tiens.
Chromatics – Shadow
Je commençais à cesser de penser à toi en décembre, alors que les vitrines affichaient leurs plus belles décorations de Noël. Je cherchais un cadeau à la dernière minute et demandais l’aide d’un vendeur. Si au début il était très professionnel, il commença à exprimer des avis plus personnels sur le sujet, c’était un passionné. Je débattais longtemps avec lui puis un autre client l’interpella. Nous échangeâmes un sourire complice avant qu’il reparte. Je ne me doutais pas encore que nous allions nous recroiser dans un bar bondé de Bastille deux jours plus tard. La chance me souriait à nouveau.