C’était un mardi. Je m’en souviens encore parce que chez moi c’est une fatalité. Tous les événements importants ou qui auraient pu l’être se produisent le mardi. Nous étions tous les trois, adolescents englués dans la phase la plus ingrate de leur vie ; Comédons, Greluche et Bagues-aux-Dents. Greluche m’avait mis la pression. Si je n’avouais pas tout à Comédons ce jour-là, elle ne se priverait pas de le faire pour moi. Ceci expliquait pourquoi je me trouvais coincée entre eux sur un banc, à la pause de 10h17, me passant nerveusement la langue sur mes dents entravées. A vrai dire j’étais précisément en train de faire le tour de la raison pour laquelle j’avais peur de me lancer. Comédons était peut-être loin d’avoir une peau parfaite mais lui au moins avait les dents lisses et droites. J’étais sûre qu’il embrassait comme personne – je l’avais vu s’entraîner avec Culotte-de-Cheval quelques semaines auparavant…
– Non mais regardez tous ces petits couples qui se forment au printemps, c’est dingue, non ? s’exclama Greluche en me lançant un regard narquois.
En un éclair, mes paumes se couvrirent de sueur tandis qu’à un mètre de nous, deux des élèves les plus populaires du collège se léchouillaient le visage avec une ardeur déconcertante.
– J’étais sûre que Pot-de-Peinture finirait par arriver à ses fins, poursuivit Greluche. C’est vrai, quoi, quand un garçon et une fille passent autant de temps ensemble, ça finit forcément au lit.
Je jetai un rapide coup d’œil à Comédons et vit que les millimètres carré de son visage épargnés par l’acné étaient devenus écarlates. Il la voyait venir, j’en étais sûre. Je devais stopper Greluche, et vite.
– Tu devrais retourner aux casiers, lui dis-je, tu n’as pas pris tes affaires de géo.
– Ok, répondit-elle en haussant les épaules, mais à mon retour je dois m’attendre à tenir la chandelle ou bien… ?
Ce fût la première expression imagée que j’appris ce jour-là. Ne sachant que répondre, je me tournai vers Comédons, espérant être secourue. Mais celui-ci garda les yeux résolument fixés devant lui, les sourcils légèrement froncés.
– Un ange passe, constata Greluche.
Je revois encore l’expression moqueuse de son visage lorsqu’elle prononça cette deuxième expression encore plus vide, stupide et inutile que la première. Elle était ma meilleure amie. Mais dès lors que cette imbécile de créature ailée eût franchi ses lèvres, je n’ai plus ressenti que de la haine pour elle. Elle me proposa de l’accompagner aux casiers. Je refusai, espérant sauver ma dignité en restant aux côtés de Comédons. Le souci c’est que lors de cette première rencontre, l’ange ne fit pas que passer. Il s’installa sur le banc, entre moi et le garçon que j’aimais, creusant le fossé qui nous séparait, nous poursuivant jusqu’à la fin de ce mardi pourri.